Inventons d’autres histoires sur le climat !

Mon expérience de la COP21 et de PlaceToB, racontée un mois après

En bref

Du 28 novembre au 12 décembre 2015, j’étais à Paris pour la COP21, à PlaceToB, comme je vous l’ai expliqué précédement

Il y a des espaces-temps contractés, où beaucoup se passe en un temps à la fois très court et très long… dans ces moments là, il faut, si possible, prendre le temps de raconter après coup, pour soi et pour les autres… Cet article est très long, mais je crois que vous apprendrez des choses en le lisant, comme moi pendant ces deux semaines.

Et si vous n’avez pas le temps de lire : Oui, collectivement on peut trouver des vraies solutions et une vraie dynamique, même contre le changement climatique.

Table des matières

Arrivée à Paris, l’ouverture de PlaceToB

Sorti du train de nuit au matin un peu frigorifié, je débarque à Paris le 28 novembre, moi qui voit des montagnes toute l’année…

Je ne le sais pas encore, mais en deux semaines, je n’apercevrai que deux fois le soleil à travers les nuages, peut-être un quart d’heure au total… Comment, en habitant cette ville, les Parisiens ne deviennent-ils pas tous militants écologistes ?

La COP21 va démarrer avec un jour d’avance demain, mais pour l’instant je replonge donc dans l’air pollué et le gris de Paris, jusqu’à la gare du Nord, puis le St Christopher’s Inn, l’auberge de jeunesse/hôtel que l’on va occuper à plus de 400 pendant deux semaines, et qui a été privatisée par l’association spécialement pour l’événement.

Le premier jour est l’occasion de faire les premières rencontres un peu hésitantes (merci Flora et Aurore pour votre accueil !), alors que toute l’équipe et les bénévoles s’activent à tout préparer pour l’ouverture officielle du soir, la Welcome Party (fête d’ouverture) où la Ministre française de l’écologie, Ségolène Royale, vient de décider de faire une apparition.

Timidement, j’aide un peu pour le site web de PlacetoB, je commence à dessiner sur ma tablette… On parle des attentats du 13 novembre, deux semaines avant, à quelques dizaines de rues d’ici, du fait que quelques-uns auraient renoncés à venir pour cette raison, du fait que quelques membres de l’équipe connaissait des victimes… Mais PlacetoB et la COP ont bien lieu, il y a simplement un vigile à l’entrée et une liste d’accréditations.

Le soir, il y a une ambiance d’abord un peu solenelle puisqu’une ministre vient nous donner de l’importance alors qu’une trapeziste nous montre son talent en suspention au-dessus du bar, puis festive avec le premier concert du Listen Ensemble et de DJ Murcof.

La marche pour le climat, transformée en chaîne humaine, le 29 novembre

Les choses sérieuses commencent en fait le deuxième jour, le dimanche 29, qui devait être le jour de la marche mondiale pour le climat, une manifestation qui devait réunir des centaines de milliers de personnes à Paris et à travers le monde, mais qui a été interdite en France pour cause d’état d’urgence.

Hésitant à braver l’interdiction, un petit groupe d’une trentaine dont je fais partie part de PlaceToB pour participer à la chaîne humaine qui a été organisée à la place.

photo : Adriana Karpinska

De la Place de la République à Nation, nous nous tenons les mains alors que des militants d’Alternatiba font des allers-retours en vélo pour nous répartir. Nous récupérons des pancartes confectionnées par le jardin d’Alice.

C’est aussi à ce moment-là que je passe devant le Bataclan, sans l’avoir prévu, car il est sur le chemin de la chaîne. La pancarte à côté du café annonce toujours les Eagles of Death Metal, qui jouait le soir du massacre. Étrange télescopage du climat et du terrorisme…

Premières rencontres, premiers liens forts qui se créent avec ceux qui sont venus : Flora Clodic, Giselle Wilkinson, Charlotte Du Cann, Karl Walker, Floriane Vallière, Adriana Karpinska (slovaque vivant à Bruxelles) qui fait des photos, Valentine Pignon… même si dans la foule petit à petit notre groupe d’une trentaine se disloque en petits groupes de cinq ou six… L’ambiance est chaleureuse, tout le monde sourit.

Vidéo : 350.org

Nous avions rendez-vous à 11h30, le temps de s’installer et de se répartir l’événement ne dure réellement qu’environ une demi-heure, de midi et quart à une heure moins le quart. Spontanément, beaucoup de gens se rendent ensuite Place de la République pour essayer de voir les chaussures, autre manifestation alternative qui a eu lieu le matin : l’idée est de laisser ses chaussures au lieu de marcher.

Pour rentrer sur la Place, nous passons un barrage de CRS qui nous tourne le dos, et qui l’encercle. Nous ne comprenons pas vraiment la raison d’une présence aussi imposante.

Sur cette place où on sent le poids de l’histoire, surtout en cette année 2015, et que je découvre, les chaussures ont déjà presque disparue. Il y a du monde, mais on ne se marche pas non plus dessus…

Un petit groupe d’une centaine de personnes, qui grossit petit à petit, commence à manifester en tournant en rond autour de la place, en scandant : « Si on ne marche pas, ça ne marchera pas ! ». Ils sont pacifiques mais ne comptent pas laisser enterrer le problème climatique avec un attentat. Il y a un peu d’électricité dans l’air, comme dans toute manifestation.

Ayant finit notre chaîne, sans avoir trouvé beaucoup de chaussures, nous sortons de la Place de la République par le métro. Ce n’est qu’en arrivant à PlaceToB une demi-heure plus tard que nous apprendrons qu’il y a eu des incidents avec les CRS et des arrestations.

Pendant ce temps-là à PlaceToB, la Creative Factory (Fabrique Créative) s’installe, se prépare pour six ateliers de deux jours. Je me suis porté volontaire pour aider pendant les deux semaines, ce qui me permet aussi de participer un peu à tous les ateliers…

Le soir a lieu le premier « Place To Brief », l’émission vidéo retransmise sur le web qui va avoir lieu tous les soirs pendant deux semaines. L’occasion de faire le point sur ce qui se passe dans les négociations au Bourget, et d’aborder un thème par jour avec des invités connus et/ou reconnus.

C’est parti, on va raconter une histoire différente sur le climat ! Plus positive, plus vivante, et surtout qui tente de pas laisser tout le monde indifférent… !

La Creative Factory, la fabrique créative

À partir du dimanche et les jours suivants, je fais la connaissance des talentueux Chris Aldhous, David Holyoake et Ophélia Noor qui vont animer les ateliers, et de Thiphaine Bonnier qui est là pour les assister (plus de renseignements ici sur leurs parcours).

Et également de Paul Beer, artiste en résidence la première semaine, qui va remplir l’espace de ses étonants collages.

Et de tous les participants aux ateliers, tous plus extraordinaires les uns que les autres, de tous les pays, de tous les cultures : artistes, experts, activistes, curieux, citoyens…

La présentation par Chris en vidéo (accent british, mais très clair quand on s’habitue !):

Le thème principal, le fil rouge de tous les ateliers est Life Renewed (Une vie nouvelle) : Imaginer et construire une société qui ait du sens.

Voilà les 10 principes de fonctionnement de la Factory :

  1. Proposer quelque chose de différent de ce qui s’est fait auparavant.
  2. Offrir une structure positive et une vision optimiste de ce que l’avenir pourrait
    être.
  3. Dépasser les arguments rationnels pour s’adresser au cœur des gens.
  4. Bâtir un sens de la communauté et de l’action collective.
  5. Comprendre la réalité de la vie et des motivations des personnes au quotidien.
  6. Insuffler une nouvelle dynamique pour aller de l’avant.
  7. Ne pas avoir peur de se confronter aux changements les plus difficiles.
  8. Maintenir un impératif moral fort.
  9. Élaborer un guide pratique et simple des actions nécessaires.
  10. Proposer des solutions qui emportent l’adhésion et soient réplicables à grande
    échelle pour un impact optimal.

#1 Démanteler l’impératif de consommation (“Dismantling the Buying imperative”)

Le premier atelier commence le lundi. Malgré le fait que je me documente depuis plus d’un an et demi sur le changement climatique pour mon projet de BD, j’ai très vite l’impression de ne rien savoir.

Une des premières choses que David nous montre est l’émouvant final du film Koyaanisqatsi :

Qui explose en vol ? Est-ce notre civilisation ?

À chaque atelier, la vingtaine de participants présents constitueront trois équipes.

Le premier exercice que nous demande de faire David est de lister ce qui ne marche pas dans les campagnes de sensibilisation autour de l’écologie et du climat : sortons des images de l’ours polaire et de la planète bleue ! Même si parfois, on a du mal à sortir du pessimisme ou des clichés…

Assez vite, sur ce thème de la consommation, une discussion avec Chris m’inspire ce dessin :

Oui, la consommation, c’est le changement climatique : dans le nord on consomme plus que ce qui est soutenable. Littéralement, on mange la branche sur laquelle on est assis.

À la fin des deux jours d’ateliers, je dessine un poster pour une des équipes (dont Tom Old), encore d’après un croquis de Chris :

Traduction : vous créez une nouvelle vie, faites-en en une vie qui vaille la peine d’être vécue

L’idée est de fonder une marque, PlanetMum (Maman Planète), qui propose un guide pour les jeunes parents : puisque leur vie est bouleversée, et qu’ils font déjà de grands changements dans leur vie, autant les aider à faire des choix durables.

Malgré nos efforts, c’est difficile de sortir du cliché de la planète bleue 😉

Mais ce n’est qu’une des idées qui est sortie de ces deux premiers jours, une autre équipe avait imaginé un jeu sous forme d’application mobile qui expliquait aux enfants la provenance des produits de la vie quotidienne.

Un des experts qui m’a marqué durant cette session est Vincent Liegey, qui milite pour la décroissance. J’ai acheté, puis lu (à mon retour) un de ses livres (un ouvrage collectif) : Manifeste pour une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie, un projet de décroissance.

Très intéressant pour se décoloniser l’esprit du dogme de l’économie et du PIB ! Enfin des idées politiques sérieuses 😉

#2 Le baume de la nature (“The Balm of Nature”)

Le deuxième atelier est sur le thème de notre rapport ambiguë à la nature.

Un groupe s’empare du thème de la nature en ville et me demande de préparer des bulles de BD pour faire parler les plantes dans la ville (cliquez pour télécharger un grand format):

puis nous préparons aussi un poster :


Traduction : la nature n’abandonne jamais, pourquoi le ferions-nous ?
photos : Arthur Enard

Un autre groupe invente un jeu de carte appelé « Wild » (Litt. « Sauvage »), qui consiste à partager des souvenirs de nos vies dans la nature en associant une action et un élément naturel (par exemple « Camper » et « Neige »).

Je rencontre Scott Shigeoka à cette occasion en l’aidant à la mise en page des cartes, et c’est une des rencontres qui va me marquer ! Scott est incroyablement vivant et dynamique, habite San Francisco, et travaille à OpenIDEO, une communauté en ligne qui tente de dessiner et de créer collectivement des solutions aux défis de notre monde, comme le changement climatique.

Mais là encore, ce ne sont que deux idées parmi d’autres

C’est lors de cette deuxième session que Kjell Kühne (allemand et vivant au Mexique) nous présente son travail au sein du mouvement « Leave it in the Ground » (Laissez-le dans le sol).

Mais quoi donc ? Le pétrole bien sûr.

Car il y a un lien direct entre exploitation du pétrole, augmentation des rejets de CO2, et conséquences climatiques désastreuses qui s’ensuivent. Il le résume en un poster difficile à lire au premier abord, mais très bien fait :


Design : Youth-LeadeR.org

Ce poster montre entre autre bien les « seuils », à partir desquels le changement climatique va se renforcer de lui-même (on parle de Runaway Climate Change en anglais) car des catastrophes naturelles vont relâcher encore plus de CO2, dans une réaction en chaîne.

Et malheureusement, le travail de plus de 20 000 scientifiques depuis 30 ans (le GIEC) lui donne raison (avec plus de 95% de certitude pour les sceptiques et les scientifiquement prudents).

Oui, laisser le pétrole dans le sol, donc arrêter de le consommer, est urgent si on veut éviter ces catastrophes.

#3 Invoquer l’esprit du changement (“Invoking the spirit of change”)

Le troisième thème est celui de la spiritualité et de la religion, qui se sont emparées assez récemment du thème du changement climatique. Les religions ont toutes sous une forme ou une autre l’idée de « Mère Nature » à protéger, même si dans les religions du livre elle doit être aussi « dominée ».

Une équipe remet en question la légitimité des chefs d’états comme négociateurs du climat : est-ce que les leaders sprirituels n’auraient pas leur rôle à jouer (le Pape, le Dalaï-lama…) ? Ils imaginent une conférence internationale appelée « Confluence », et me demande de mettre au propre leur logo :


Traduction: Confluence spirituelle de la nature et de ses partenaires

Une autre équipe veut se passer des mots, et invente des danses à partager comme dénominateurs communs, à travers les cultures :

Traduction: Nous dansons pour sentir, nous dansons pour partager, nous dansons pour faire attention, nous dansons pour être pleinement vivants, nous dansons pour transcender la mort, le sol est sec mais l’eau monte, le flux de la vie est bloqué, mais nos âmes bougent. Nous dansons pour réveiller le monde

Mais c’est surtout le récit de Nigel Francis Kelaepa et de Joseph Keith qui va me marquer : Nigel vient des îles Samolon, et plus précisément d’un des atolls du Pacifique qui est progressivement en train de disparaître sous les eaux de l’océan, qui monte petit à petit. Le point le plus haut de l’île est 3 mètres au-dessus de la mer, et le GIEC prévoit une hausse des océans d’une moyenne de 70cm minimum d’ici la fin du siècle, si la calotte groenlandaise ne fond pas. Joseph est un prêtre australien qui l’aide dans son combat, et il vit une partie de l’année sur cet atoll.

Le cimetière où sont enterrés les grands parents de Nigel est sous l’eau, les maisons s’enfoncent dans l’océan, les cultures s’épuisent car l’eau salée s’infiltre dans les sols par en dessous… Et Nigel en tant que chef de sa communauté travaille à faire émigrer au moins 50% de la population de l’atoll dans les 5 ans qui viennent. Avec sa terre, il perd également le culture et les arts qui y sont attachés. Il ne vient pas à Paris pour se plaindre ou accuser, il vient chercher des solutions.

C’est une chose de savoir qu’il y a déjà des victimes de ces catastrophes, c’est autre chose de rencontrer quelqu’un qui est en train de les vivre.

Et le résumé de la troisième session en vidéo est ici.

Une pause le dimanche entre les deux semaines, le village des alternatives

Le dimanche 6, pas de Factory, c’est journée de pause bien méritée : à quelques-uns, on en profite pour sortir prendre l’air au Village des alternatives à Montreuil, et assister à un morceau de concert de HK et Les Saltimbanks.

Vidéo : Alternatiba

#4 L’empathie en action (“Empathy In action”)

Retour à la Factory : le quatrième thème était celui de l’empathie, et des relations Nord-Sud en général, qui a eu lieu au début de la deuxième semaine.
Tous les français sur place étaient en colère ou démoralisés après le bon score du Front National (parti raciste d’extrême-droite) au premier tour des élections régionales.

Ce thème tombait donc à point, et d’après une idée d’Eloi Saint Bris, nous avons beaucoup rit (avec Eve Demange, Julie Villain, Loan Diep et Annekathrin Otto) à inventer une campagne de sensibilisation provocante à destination des pays du Nord qui craignent les réfugiés (qui vous l’avez compris vont être de plus en plus nombreux dans les décennies à venir à cause de l’aridification des sols et de la montée des eaux)…


Traduction : Feriez-vous l’amour avec un réfugié climatique ? Nous avons un futur en commun. notrefuturchaud.org

Accompagnée de son « baromètre d’acceptation » :

Traduction : Baromètre d’acceptation. Partageriez-vous votre pays, partageriez-vous votre maison, sortiriez-vous, embrasseriez-vous, feriez-vous l’amour, auriez-vous un enfant, avec un réfugié climatique ? Nous avons un futur en commun. notrefuturchaud.org

Qu’est-ce que j’aimerais voir des affiches arborant ce slogan dans les rues de Paris, de Marseille, de Lyon, de Montpellier, de Nice… !

Une autre équipe a eu une autre idée très intéressante : partant de l’histoire de Nigel et du fait que ce sont les histoires individuelles qui nous touchent et pas les connaissances scientifiques, ils ont imaginés créer une plateforme de jeu en ligne et hors ligne dont le but est de débloquer ces histoires sur le climat.

Partager les histoires individuelles nous touche plus que les discours rationnels, car nos décisions sont plus souvent basées sur l’émotion que sur la raison.

Des « experts » qui ont attirés mon attention avec leurs idées était l’Institut des futurs souhaitables avec entre autre leur kit des conspirateurs positifs.

Un de leurs slogans ?

Vous ne pouvez pas prédire le futur, mais vous pouvez le faire advenir.

Encore une fois, le résumé de cette session en vidéo.

#5 Un monde d’enfants (“A Chrildren’s World”)

La fatigue commençait à se faire sentir, nous étions au milieu de la deuxième semaine. Après la session précédente, qui avait été extraordinaire, celle-ci sur le thème de l’enfance était plus difficile collectivement, nous avons eu du mal à garder la concentration nécessaire très intense que nous soutenions depuis plus de 10 jours.

De plus en raison des attentats et de la politique sécuritaire qui s’ensuivait, la classe qui devait venir nous rencontrer a reçu l’interdiction de venir, et nous aurions eu besoin de l’énergie et de la présence des enfants…

Mais David m’a proposé de faire une lecture à deux voix (lui en anglais, moi en français) de ma petite bd sur les grenouilles pour ouvrir la session, et ça a été un vrai plaisir !
Les participants ont bien apprécié, et c’est à partir de ce moment-là que j’ai été moins timide pour parler de ce que je fais.

Encore une fois, Kjell est intervenue en tant qu’expert avec Paulina, pour parler de leur initiative Climate Strike : la grève du climat, portée par des lycéens et des étudiants… Leur message est très simple : c’est notre génération qui va être le plus affectée, c’est à nous d’agir ! Faites-le vous-même, et maintenant ! Comment ? Commencez par planter un arbre, ça sera toujours du CO2 absorbé !

Une des équipes m’a demandé de les aider à créer un jeu de cartes pour tous, pas seulement les enfants, qui consistait en un jeu social d’échange de carte où l’on écrivait « nom et contact », « je donne », « je veux », « ensemble nous voulons ». Les cartes ont un thème par élément (Air : pollution, Terre : forêt, Eau : glace, Feu : industrie ).

Ce jeu s’appelle « l’effet papillon » : c’est en partageant à petit échelle que l’on fait petit à petit boule de neige sur nos engagements.

De son côté, une des participantes avec qui je me suis bien entendu, Anne (Annekathrin Otto), imaginait des communautés locales appelées « Nowtopia » (contraction de now, maintenant, et utopia, utopie).

Vous pouvez la voir dans le résumé de cette 5ème session en vidéo, mais il est peu monté (durée une demi-heure, désolé ! Vous pouvez voir ma tête épuisée à l’arrière-plan lors de la seconde présentation ;p)

#6 Une vie nouvelle, revisitée (“Life Renewed Re-visited”)

J’ai eu du mal à suivre la dernière session, qui était un résumé de toutes les autres, car j’aidais l’équipe à tout ranger et à imprimer les dernières affiches, la factory devant plier bagage pour le soir même alors que nous étions toujours en cours d’atelier.

J’ai pu faire une deuxième lecture à deux voix avec David de mes grenouilles, très bien reçue elle aussi, et dessiner une ville soutenable imaginaire organisée en communautés et en forme d’arbre sur la demande d’une des équipes…


Quelle magnifique langue, n’est-ce-pas ? Merci à Eve Demange pour la photo

Mais le plus drôle a été d’essayer de résumer ce qu’il faudrait changer en un seul mot :

Comment résumer ce que la Creative Factory nous a appris ?

Tâche difficile, mais, David l’a fait pendant que je rédigeais et traduisais cet article … !

En résumé, voilà ce qu’il dit sur ce que la Factory nous a appris sur comment faire passer le message du changement climatique:
1. Le nouveau récit climatique devrait avoir la forme et la poésie des grandes histoires qui ont su mobiliser les foules lors des grands points de convergence de l’Histoire
2. Le besoin de fédérer un récit progressif sur la transition
3. Plaisir, humour, optimisme et recentrage sur notre enfant intérieur
4. Renouveau spirituel et évangélisateurs adorateurs du climat
5. Comprendre les valeurs de motivation des gens qui ne sont pas comme nous, et restructurer nos message dans des formes auxquelles ils pourront se référer
6. Nous devons dépasser les cadres « écolos » dans lesquels le changement climatique est enraciné
7. Il y a une différence entre « sympathie » et « empathie » au sujet des impacts climatiques et de la vulnérabilité climatique des peuples
8. Le nouveau récit climatique doit s’articuler à travers l’art et la culture populaire et nous devons chercher de nouvelles iconographies
9. Nous devons confronter certains tabous face au mouvement climatique
10. Comment raconter l’histoire : l’importance de l’honnêteté émotionnelle et de l’amélioration de la qualité du leadership

Je ne l’aurais pas mieux dit… Et je vous encourage à lire ses explications en détail.

Les rencontres

Mais ces deux semaines à PlaceToB, ce n’était pas que la Creative Factory, loin de là. C’était aussi des rencontres avec des gens de partout, tous avec des projets plus riches les uns que les autres.

J’ai mangé végétarien, parlé anglais, commencé à 8h et fini à 23h tous les jours, assisté à des petits concerts privés (salut et merci à Charlie Winston et au poète Abd al Malik), partagé les soucis de l’équipe qui tenait l’événement à bout de bras, échangé des idées, partagé mes dessins, discuté de ce que nous devrions faire, de nos multi-métiers, de nos parcours, ce que nous faisions, ce qui n’était pas fait, de pourquoi nous étions là… On se sent beaucoup moins seul dans ces moments-là, l’énergie collective nous porte et donne beaucoup d’émotions. C’est comme se recharger : avec ce que j’ai vécu en deux semaines, j’ai de la matière pour travailler deux ans.

Voici les quelques dessins que j’ai pu faire « en direct » d’une toute petite partie des personnes sur place, surtout à la Factory et lors des PlaceToBriefs.

Eve Demange, lors d’une discussion un soir m’a dit : « Ici, c’est le Disney Land de l’écologie ! », et c’était vrai 😉

Parmi les invités marquants du PlaceToBrief, je retiens :
Vandana Shiva, éco-féministe indienne, qui est largement à la hauteur de son engagement.
George Marshall, qui nous a expliqué pourquoi il est parfaitement naturel de vouloir ignorer une aussi mauvaise nouvelle que le changement climatique.
Philippe Bihouix, pour son humour piquant et ravageur, et sa démystification de la high-tech… car le bikini connecté, non ce n’est pas l’avenir, c’est juste de la bêtise et du gaspillage de ressources rares !
Cyril Dion, pour son film motivant, Demain, qu’il nous a présenté et que vous devez aller voir :

J’ai surtout rencontré une équipe de PlaceToB extraodinaire, et des personnes avec qui j’espère je resterais en contact : Flora, David, Chris, Ophélia, Tiphaine, Kjell, Scott, Adriana, Paul, Eloi, Giselle, Charlotte, Anne-Sophie, Pierre, Nicolas, Karl, Tom, Julie, Eve, Marie, Natacha, Thomas, Arthur, Julien, Anne, Anne-lise, Gayané… et bien d’autres, qui brillent ou qui patientent, qui contribuent ou qui foncent, et tous qui veulent changer leur monde.

Et aussi un monsieur (son vrai prénom est Philip, mais personne ne l’appelle comme ça) qui a tenu le rôle d’un personnage étrange, à PlaceToB et dans les rues de Paris : Sustaina Claus, jeu de mot entre « Santa Claus » (Père Noël) et « soutenable » (voir dessin précédemment). Canadien vivant en Chine, il a gardé son costume pendant les deux semaines, piégeant tous ceux qui étaient intrigués pour leur parler durabilité et vivre ensemble, et faire un selfie avec lui en faisant le signe des trois doigts (écologie-société-économie) !

Au début, j’avoue que je n’ai pas vraiment compris la démarche, et se faire aborder par un père noël bavard ne met pas forcement à l’aise, mais il est impressionnant dans la durée : il a trouvé son propre moyen de faire bouger les choses à son échelle, et il s’y tient, dans un pays où il n’y a pas de liberté d’opinion (par exemple c’est la peluche panda qu’il trimballe qui est officiellement le leader du mouvement !), et il fait ça depuis 15 ans.

Beaucoup de militants n’ont pas cette constance et cette force !

Mes remises en question

Une des révélations de ces deux semaines pour moi peut sembler ridicule, mais je crois qu’elle en dit long : j’ai mangé un hamburger-frite… mais au tofu, sans viande. Il était délicieux. C’était un choc : l’image du hamburger-frite est si lointaine de celle du repas végétarien !

Comme quoi, on a beau lire, se remettre en question…

Notre imaginaire est toujours colonisé !

Quand je mange avec Flora qui est devenue végétarienne, et qui m’explique son parcours et la raison de son choix, je me pose la question moi-même : même si j’aime ça, et que je la choisis locale et même bio, dois-je continuer à manger un produit de luxe polluant comme un produit de tous les jours ?

Quand je sais que brûler de l’essence fait monter l’océan et noie le peu de terre qu’il reste à Nigel, quand Kjell me l’explique si pertinemment, dois-je me passer de voiture, même si j’habite en montagne et que c’est la seule solution simple pour me déplacer ?

Bien sûr, il y a des intermédiaires et des compromis entre ne pas manger de viande et en manger tous les jours, entre ne pas avoir de voiture du tout et l’utiliser tout le temps…

Mais c’est au contact des gens qui agissent qu’on se pose le plus de questions, savoir ne suffit pas toujours.

Ce que j’ai raté

J’ai raté tant de choses… mais en particulier, il y a deux choses dont je veux vous parler :

La radio sur place

Stéphane Paoli, le journaliste de France Inter, animait des émissions de radio à PlaceToB entre 12h et 13h… mais je n’ai pas réussi à en écouter une seule ! Je le voyait animer son émission en commandant mon repas au bar, sans avoir la possibilité de vraiment l’écouter.

Mais tout est en ligne, je vais me rattraper, cette émission éphémère s’appelait Portes Ouvertes.

Les Climate Games (les jeux du climat)

L’initiative la plus provocante qui a eu lieu à Paris était les Climates Games. Une action de désobéissance civile organisée entre autre par John Jordan (un dessin au-dessus) et le labofii (Laboratoire d’insurrection imaginaire).

Même si ce n’était pas sur le même registre, et que je n’avais pas vraiment envie de passer la COP au poste, je crois que ce qu’ils ont fait était tout aussi créatif que ce que nous avons pu faire à PlaceToB.

« L’accord de Paris »

Bien sûr, comme prévu, les négociations ont duré un peu plus que prévu, et le vendredi 11 décembre au soir, nous apprenions à PlaceToB qu’il y a avait eu un accord au Bourget.

J’étais allé visiter le Bourget le jeudi avec Natacha Bigan, la talentueuse graphiste/illustratrice de l’équipe de PlaceToB, histoire de voir le bâtiment de la société civile, grand et un peu solenel avec des stands… Il fallait le voir, pour l’avoir vu.

Anne-Sophie Novel, qui m’a appris la nouvelle de l’accord car elle venait de la recevoir sur son portable, et qui a vécu la déception de Copenhague sur place en 2009, a spontanément dit « c’est bien », en parcourant les nouvelles. Et elle a raison, mais personne n’a sauté de joie.

Cet accord, c’est bien, mais c’est surtout mieux que rien. Il n’y a pas de quoi être fier d’avoir mis plus de 21 ans à aboutir à un consensus… et malheureusement le contenu est tout à fait insuffisant par rapport à l’enjeu, comme on peut s’y attendre d’un laborieux compromis.

La métaphore la plus valable que j’ai entendue est la suivante : 195 junkies, dont certains sont des dealers (de pétrole), se réunissent et se mettent d’accord. « Demain, on arrête ! ». À voir !

Le plus intéressant est le fait de réviser l’accord tous les cinq ans, ce qui va amener une dynamique plus rapprochée, même si 5 ans c’est très lent !

Voilà comment j’ai essayé de le résumer avec mes grenouilles après coup :

 

Et voilà comment 350.org le résume, ce que je partage complètement :

Une solution ne va pas venir d’en haut, c’est à nous d’agir !

Nous avons quand même fait une petite fête dans la soirée… pas pour célébrer l’accord, mais pour relâcher la pression !

D12

Le samedi 12 décembre, le lendemain du dernier jour des négociations, des actions et des manifestations avait été prévue à l’avance, car beaucoup n’attendaient pas un miracle de l’accord. Ces actions, on les appelait celle de D12, du 12ème jour.

Bien sûr ces manifestations avaient été interdites, puis finalement autorisées la veille.

Tout a donc fini ce samedi-là, et je prenais le train de nuit pour rentrer à la maison le soir.

Partir manifester était difficile, tout le monde était épuisé par la fête de la veille et les deux semaines très intenses que nous venions de passer, nous n’étions pas sûrs de ne pas nous faire emmener par des CRS, et je remercie Adriana de m’avoir motivé à bouger avec Scott ce matin-là.

Direction donc la Place de l’Étoile. La manifestation de D12 devait avoir lieu sur l’Avenue de la Grande Armée, sur la très grande avenue entre l’Arc de Triomphe et la Défense, celle des 14 juillet.

Premier frein : la station Charles de Gaulle Étoile est fermée, on ne peut pas s’y arrêter. Nous sommes donc obligés de dépasser en RER, jusqu’à la Défense, puis de rebrousser chemin en métro jusqu’à la station Argentine.

À la Défense, nos tickets de métro Paris intra-muros ne sont plus valables, puisque nous avons changés de zone. Une parisienne passe sa carte 30 fois dans la machine pour nous débloquer et nous laisser tous passer… !

Enfin arrivés sur place, à peine en retard, nous sommes sur la Grande Avenue… Manifester à Paris, au milieu de ces monuments et de ces avenues gigantesques et chargée d’Histoire c’est autre chose qu’à Gap ou Grenoble…

Nous voulons tracer des « lignes rouges » symbolisant les limites de justice qui ont été franchies par l’accord. Les injustices qu’il ne combat pas si vous préférez : celui du sort des populations indigènes, des victimes du changement climatique, du pétrole qui va continuer à brûler, des autres réacteurs qui vont finir par exploser (car, oui, c’est déjà arrivé, on en est sûr à 100%)…

Tout le monde porte au moins un vêtement rouge et il y a de grands bandeaux qui dessinent ces lignes. Nous sommes nombreux, peut-être 5 000, mais nos rangs sont assez clairsemés sur cette gigantesque avenue et c’est moins que ce que j’espérais, que nous espérions tous.

Quelqu’un lance : « What do you want ? » (« Qu’est-ce que vous voulez ? »)
On répond : « Climate Justice » (« La justice climatique »)
Quelqu’un lance à nouveau : « When do you want it ? » (« Pour quand la voulez-vous ? »)
On répond : « Now ! » (« Maintenant ! »)

En fait on ne marche pas dans Paris, on reste sur cette avenue. Des CRS l’entourent, mais leurs rangs sont peu serrés et ils ne font qu’observer.

En se déplaçant au cœur de la foule, nous finissons avec Scott et Adriana par parvenir à un des bouts de la manif. Un mur d’immenses ballons gonflables cubiques est dressé là. Des femmes sont déguisés en anges et se tiennent droites face à l’avenue. C’est très impressionnant. Blanc et rouge. Loin du vert et bleu habituel. En arrière plan l’Arc de Triomphe, le bruit de la foule et les slogans. Cette image restera gravée dans ma mémoire.

Pour ne pas l’oubliée, je l’ai redessinée :

Et tout d’un coup, le mur éclate : les ballons s’envolent, vont sauter au dessus de la foule, qui les renvois, et ils dévalent l’avenue, relancés à chaque personne qui les touchent.

Vidéo : 350.org

J’ai les larmes aux yeux chaque fois que je regarde cette vidéo ! Pourquoi n’étions-nous que 5 000, et peut-être 15 000 ou 20 000 avec les autres manifestants que nous allions rejoindre par la suite à la Tour Eiffel ?

Car oui, il y avait une autre rassemblement organisé sur le Champ de Mars, au pied de la Tour Eiffel. Une corne de brume sonne la fin des lignes rouges, et les CRS nous canalisent par la porte Maillot, et nous traversons le richissime 16ème arrondissement de Paris, où les nantis à leurs balcons nous regardent passer avec un œil incrédule.

Par hasard, nous retrouvons Anne-Sophie Novel, Stéphane Riot et Pierre Poitrat. Anne-Sophie me donne un coussin rouge que je vais garder jusqu’à mon retour à PlaceToB 😉

Nous atteignons la tour Eiffel après une demi-heure de marche, que Scott voit pour la première fois. C’est difficile d’entrer sur le Champ de Mars car les policiers ont formés des barrières d’accès, pour fouiller tout le monde à l’entrée. Pour notre sécurité, pour éviter un attentat, mais le résultat est aussi de briser la foule et la manifestation. Nous en sommes réduits à faire la queue pour entrer.

À l’intérieur, le même sentiment d’être peu nombreux. Il est 14h, et nous découvrons avec plaisir que quelques-uns ont organisés une distribution de repas à prix libre, au milieu du Champ de Mars : ils ont eu bien du mal à faire accepter leur matériel de cuisine aux policiers.

On retrouve Kjell aussi, et nous mangeons avec un groupe de personne qu’il connaît : nous voici donc, un allemand vivant au Mexique, une slovaque, un philippin, une togolaise et moi, français, à partager une assiette de légumes et de céréales en vue de la tour Eiffel. Réunis par le climat.

Kjell m’habille en militant de Ende Gelände (en combinaison blanche) avec son copain philippin, et nous nous rendons au bout du Champ de Mars, où une tribune a été installée, et où Naomi Klein, entre autres, fait le constat que cet accord ne suffit pas, qu’il ne faut pas s’arrêter là, que ce n’est que le début d’une longue lutte.

 

photo : Adriana Karpinska

Puis nous nous dispersons, en rentrant en métro.
Dans la soirée, je dit au revoir à tous ceux que j’ai rencontrés, je remercie, j’embrasse, je ne veux pas que ces nouveaux liens se défassent… Puis je file prendre mon train de nuit.

Y a t’il des solutions ?

Le changement climatique n’est pas un problème qui peut être réglé seul. Il y a très peu de gens qui sont directement responsables, mais nous le sommes tous indirectement dans les pays occidentaux. C’est un problème de civilisation, pas d’individu, ni même de groupe ou de nations.

Il y a des solutions : dire oui à l’avenir et non aux solutions capitalistiques et fossiles du XXème siècle, traiter le problème différemment dans l’Afrique qui se désertifie, dans les atolls du pacifique qui disparaissent sous l’eau, dans les montagnes des Alpes où la neige fond et où les glaciers disparaissent.

Surtout il faut faire soi-même. Expliquer soi-même, planter un arbre soi-même, prendre son vélo soi-même, et ne pas attendre de miracles des politiques. Tout le monde doit changer, pas seulement les chefs d’états.

Et comprendre ces problèmes et commencer à appliquer les solutions, est un long chemin : on peut être sensible au sujet sans rien faire, faire certaines choses mais pas d’autres, ne pas avoir les moyens, ne pas comprendre tout de suite, (se) remettre en question lentement, ne pas s’en sentir capable, mais petit à petit, au bout de plusieurs années, on commence à avoir une vision d’ensemble et à agir, pas à pas.

Et la suite ?

Ça ne fait qu’un mois et demi… c’était juste hier. Nous restons en contact, et la Factory va probablement réussir à concrétiser quelques-unes de ses idées, en ligne ou en se rencontrant à nouveau. David Holyoake vient de proposer de fonder un collectif en ligne : SwarmDynamics.

De mon côté, je compte plus que jamais faire cette BD, et je vais l’enrichir de cette expérience, même si il faudra aussi « faire tourner la boutique ».

Merci PlaceToB ! Merci à tout le monde pour avoir partager ensemble ce moment d’Histoire ! Et à toi lecteur, merci de m’avoir lu…